Une Montagne du Tanglang
par Wang Yuanqian
Monsieur Wang Yushan (1892-1976), également appelé Wang Zhen,
célèbre
maître chinois de Tanglang quan, (art du combat de la Mante religieuse), natif
de
Laiyang (province du Shandong), était l'une des fameuses "trois montagnes"
du
Tanglang de Laiyang.
Dès l'année 1900, alors qu'il n'avait que huit ans, il suivit son grand-père
maternel
pour apprendre le Digong quan (style de combat qui met l'accent sur les
techniques au sol).
Son grand-père était un descendant du célèbre maître d'arts martiaux de la
dynastie Qing
(1644-1911), Song Yuntong. Au Shandong péninsulaire, il y a toujours ce
dicton: "Song
Yuntong frappe avec grande adresse, Sun Keyang frappe avec grande force."
Les techniques
pratiquées par Song Yuntong venaient de Deng Yude, un grand général de Yu
Qi [fameux
rebelle anti-Qing du 17ème siècle], natif de Cangzhou, (province du Hebei).
Les formes
principales avaient pour noms: Hua che "le chariot fleur", Wu deng pu "les 5
fauchages",
Shuai lu "projection", Gu cun, Ba fang "8 directions", Yuhuan tui "les
jambes de l'anneau
de jade" etc... Parmi les formes d'armes blanches il y avait: Shi ba qiang "les
18 lances"
(pour la lance), Si gun "les 4 bâtons", Mo gun "le bâton du démon", Peng
shou gun (pour
le bâton), Yin long chu shui dao "le sabre qui attire le dragon hors de l'eau"
(pour le sabre),
Si men bian (pour la chaîne) etc...
Yushan déploya tous ses efforts pendant huit ans et réussit à maîtriser
l'art de son
grand-père. Alors, il voyagea un peu partout avec son cousin pour rendre visite
à tous les
maîtres célèbre et autres experts de l'époque. Quand il arriva chez Maîtres
Jiang Hualong et
Song Zide, il découvrit des techniques qui se transformaient les unes en les
autres de manière
logique et naturelle, tous les coups acculaient l'adversaire dans un impasse, le
laissaient sans
défense efficace, tant ils étaient ingénieux. L'art traditionnel que Maître Jiang
et Maître Song
enseignaient, était le Taiji Tanglang quan (l'art du combat de la Mante
religieuse du Faîte
suprême). Yushan rentra alors à la maison et déclara à ses parents et à ses
frères qu'il y avait
ailleurs encore beaucoup d'excellentes techniques et qu'il voulait encore
étudier. Un tel désir
d'apprendre réjouit sa famille. Yushan se rendit donc au village de
Zhaogezhuang, (comté de
Laiyang) pour prendre comme maîtres Jiang Hualong et Song Zide.
M. Wang Yushan se remit alors à étudier avec humilité, s'entraînant dès
l'aube quand
les étoiles brillaient encore dans le ciel, rentrant seulement le soir, au clair de
lune. Comme il
travaillait avec ténacité, les deux maîtres lui donnaient souvent des conseils pour
saisir
l'essence du Tanglang quan. Ainsi M. Wang acquit une maîtrise exceptionnelle
de la
pratique et de la théorie du Tanglang quan, il devint un éminent disciple des 2
maîtres, et un
camarade hautement apprécié de ses condisciples. Après 7 ans
d'entraînement, il avait atteint
à la perfection du Tanglang quan. Il avait maintenant 25 ans. Maître Song et
Maître Jiang
décidèrent alors de l'envoyer faire la "visite des amis" [analogue du tour de
France des
compagnons] comme le veut la tradition pour parachever un apprentissage.
Comme le
gongfu de M. Wang était très accompli, il gagna l'appréciation de toutes les
autres écoles
d'arts martiaux qu'il visita.
Lorsqu'il quitta formellement l'école de Maître Song et Maître Jiang
avec 2 autres
condisciples, les 2 maîtres les raccompagnèrent à la porte et maître Jiang
Hualong leur
prodigua encore ses dernières recommandations: "lors d'un combat avec un
expert, la main
ne doit pas attendre la main (de l'adversaire qui attaque, de même que) le
bateau n'attend pas
le passager (retardataire), il faut barrer la porte aux coups de poing et barrer la
porte aux
coups de pied, un général puissant ne doit pas avoir sous ses ordres d'armée
faible." M.
Wang au crépuscule de sa vie racontera encore souvent cette scène. Maître
Song Zide, quant
à lui, établit dans la commune de Laiyang une salle où M. Wang pourrait
enseigner.
Il ne fallut que peu de temps à Maître Wang pour qu'à Laiyang
beaucoup de monde
disent dans le dialecte local: "Le jeune maître qui est arrivé en ville a des mains
qui portent
loin" ce qui signifie "toutes ses techniques sont absolument magnifiques", c'est
pourquoi
beaucoup d'autres maîtres souhaitaient se mesurer à lui. Un jour l'officier en
charge des
criminels les plus endurcis à la prison du comté, M. Zhang Shenglou profita de
ce que M.
Wang était parti dîner pour se glisser dans la salle où M. Wang enseignait. Il
faisait très
sombre dans la salle, il était impossible de voir quelqu'un sans allumer la
lumière. Quand M.
Wang rentra dans sa salle, à peine avait-il fait un pas, qu'il entendit le sifflement
et perçut le
déplacement d'air d'une attaque surprise. M. Wang esquiva instantanément et
contre-attaqua,
envoyant son adversaire au sol. Celui-ci s'agenouilla alors devant maître Wang
et lui dit en
se prosternant: "Maître, Maître apprenez-moi cette technique." La technique
que venait
d'utiliser M. Wang s'appelait denglongcangshen. Zhang Shenglou devint un
disciple de
Maître Wang. Zhang était plus âgé que M. Wang d'un an, il étudia assidûment
et s'entraîna
avec acharnement sous la direction de M. Wang et devint membre de l'élite des
arts martiaux
du comté. Le premier disciple de Maître Wang s'appelait Wang Zhijing et
venait du village
Beixiang, comté de Laiyang. Il suivit Maître Wang pendant de nombreuses
années, son
gongfu était solide, son habileté technique parfaite, il fut aussi un maître réputé à
Laiyang.
Une fois, M. Wang passait dans un jardin potager, quand une personne
qui remontait
de l'eau du puits, soudain lâcha la manivelle et bascula dans le puits. En un
instant M. Wang
bondit comme une flèche et la rattrapa d'une main insérant son autre bras au
milieu de la
manivelle qui tournait à toute vitesse. Le manche de la manivelle se rompit
avec fracas. M.
Wang tira hors du puits la personne en passe d'y tomber. Tous les gens des
villages voisins
étaient accourus pour assister à cette scène bouleversante. Tout le monde loua
le gongfu de
M. Wang.
Seul contre tout le village de Zhaixiang
M. Wang avait acheté un fusil de chasse à Laiyang. Alors qu'il arrivait
au village de
Zhaixiang, l'officiel local l'arrêta et commença à dire: "avec ton fusil de chasse
tu transgresses
la loi, je dois te le confisquer." M. Wang répondit: "Je viens juste de l'acheter,
aussitôt rentré
en ville je le ferai enregistrer." Mais l'officiel ne voulut rien entendre et tenta de
prendre le
fusil de force, ce qui obligea Maître Wang à riposter. L'officiel local avait pour
nom Yu et
pour prénom Quanyong, c'était un colosse d'une grande force physique. Il
déclara plein de
mépris: "tu n'es pas de taille à te battre avec moi," Maître Wang répondit: "si tu
m'attaques
encore, je vais souffler ta lampe." Ce qui signifie dans le dialecte local "Je vais
te faire
mordre la poussière." Yu s'exclame: "je ne pense pas que tu connais autre
chose que les deux
petits trucs que tu viens de faire." Et il bondit comme un loup affamé sur Maître
Wang.
Celui-ci esquiva l'attaque sur le côté et mit Yu au tapis, sa bouche vomissant
une écume
blanchâtre. Une clameur s'éleva de la foule assemblée. Aussitôt le maire du
village, Yu
Ziyun, rassembla plus de trente de ses concitoyens armés de bâtons et de
cordes pour
maîtriser cet individu si redoutable. Mais quand le maire reconnut qu'il s'agissait
de Wang
Yushan, il s'empressa de déclarer: "c'est frère Yushan de Cuitan", et à l'attention
de Maître
Wang: "venez vite chez moi vous asseoir un instant." Il ordonna sur-le-champ
qu'on préparât
de bons plats et qu'on apportât du bon vin. La victime, revenue à elle, arriva
aussi et
demanda dans le patois local: "Qui diable est-il donc?" Yu Ziyun répondit:
"c'est le disciple
de Maître Song le cadet qui enseigne à Zhaogezhuang, comment le gongfu de
Zhaixiang
pourrait-il rivaliser avec celui de Zhaogezhuang? Si frère Yushan a du temps
libre nous
serions très honorés qu'il nous aide de ses conseils." Yu dit encore à Yushan:
"L'affaire
d'aujourd'hui est comme l'histoire de Xiaobayi, c'est en se battant qu'on
découvre un ami, j'ai
une fille à te donner en mariage!" Maître Wang répondit: "Je veux encore
rester célibataire,
mais je ne manque pas de neveux." Yu dit alors: "Eh bien je donnerai ma fille
en mariage à
un de tes neveux!" Cette histoire fit rapidement le tour des villages voisins.
Yushan en un
coup de poing avait remporté une demoiselle.
Au printemps 1930, M. Jiang Shuben du village de Lingshan, comté de
Jimo invita
Wang Yushan à enseigner les arts martiaux à l'école numéro 10 de la ville. M.
Jiang le mit en
garde: "dans cette école 8 professeurs d'art martiaux se sont déjà fait battre et
ont dû
démissionner, venez ici et regardez!." Maître Wang venait à peine d'arriver et
n'avait pas
encore goûté au repas de bienvenu, qu'il y avait déjà 10 hommes jeunes et
vigoureux qui
voulaient à tout prix et immédiatement en découdre avec lui. Maître Wang
releva le pan de
sa robe et les invita à attaquer. En un clin d'oeil 7 d'entre eux furent envoyés au
tapis par
Maître Wang. M. Jiang Shuben dit alors en médiateur: "Combien y a-t-il encore
de
personnes qui souhaitent se battre? Dépêchez-vous d'attaquer!" Plus personne
n'osa avancer.
Les élèves s'empressèrent d'inviter Maître Wang à aller manger, et celui-ci put
changer sa
robe traditionnelle pour un vêtement deux pièces de Qingdao.
En 1932, Maître Wang emmèna deux jeunes disciples de 18 ans, Ding
Shouwu et Li
Fengshan à lécole d'arts martiaux Qiyanhui de Qingdao, pour participer à la
compétition
organisée à l'occasion de l'installation d'une nouvelle estrade de combat [les
combats avait
lieu traditionnellement sur une plateforme appelée leitai]. En ce temps-là les
règles étaient
simples: les professeurs se battent avec les professeurs, les élèves avec les
élèves. Ainsi
Maître Wang tomba contre un certain Qi du quartier de Cangzhou. Dès la
première reprise
Maître Wang envoya son adversaire au tapis. Les deux jeunes disciples, eux
aussi, mirent
leur adversaire KO. Les 3 combattants victorieux obtinrent la haute
appréciation du milieu
des arts martiaux de cette époque.
En 1933, lorsque la ville de Laiyang fonda son école d'arts martiaux c'est
Maître
Wang qui fut invité à en prendre la direction. C'est lui aussi qui fut choisi pour
représenter à
la fois les couleurs de Laiyang et celle de tout le Shandong péninsulaire à la
compétition de
combat libre de la province du Shandong. Les techniques de poings de Maître
Wang allaient
alors faire trembler Jinan, la capitale de la province. Les poings de fer de
Maître Wang
s'abattirent en effet sur ses adversaires comme un vent déchaîné, une pluie
torrentielle.
Certains d'entre eux qu'il avait mis KO et jeté hors de la zone de combat étaient
tombés en
syncope de sorte qu'on arrêta la compétition. Les personnes responsables du
bon
déroulement de la compétition à cette époque étaient le gouverneur de la
province M. Ma
Liang et le directeur général des écoles d'arts martiaux de la province M. Dou
Geng. Après
deux jours de réflexion, les deux hommes prirent la parole tour à tour. M. Ma
Liang dit:
"Lorsque j'étais arbitre pour la compétition nationale [il faisait référence à la
première
compétition nationale organisée à Nankin en 1928], un jour ne s'était pas écoulé
qu'il avait
déjà eu deux morts, puis au fil des jours de plus en plus de victimes mourraient,
de plus en
plus d'esprits pouvaient s'élever dans les airs. Je peux vous dire pourtant
qu'aucun d'entre eux
n'arrive à la hauteur du représentant de Laiyang M. Wang Yushan. Nous
déclarons M. Wang
Yushan vainqueur et nous l'encourageons à participer à la compétition nationale
[la deuxième
compétition nationale organisée à Nankin en automne 1933].
:
Maître Wang lors de la compétition de Jinan en 1933
En 1933 pour le gouvernement de l'époque, la fête nationale tombait le
10 Octobre. Á
cette occasion les dirigeants du pays se rendirent sur les lieux de la compétition
nationale, ils
découvrirent la violence des affrontements, et prirent peur qu'il y ait des blessés
graves. Si la
compétition avait été endeuillée le jour de la fête nationale c'aurait été de
mauvaise augure.
Alors ils s'empressèrent d'ordonner qu'à partir de ce jour il soit interdit de frapper
à la tête
dans cette compétition. Quelques participants commencèrent alors à attaquer
leurs
adversaires avec leur tête [sachant que si ces derniers leur touchaient la tête ils
seraient
disqualifiés]. Maître Wang refusa de se mesurer avec cette sorte de personnes.
Après les événements du 17 juillet 1937, M. Wang dirigea les arts
martiaux, à l'école
n°11 du Shandong, au lycée de la province du Shandong, à l'école Laizhong de
Qingdao,
ainsi que dans l'entreprise de textile de Qingdao. M. Wang passa une vie à
s'appliquer à
oeuvrer pour les arts martiaux, pratiquant une grande vertu et jouissant d'un
grand prestige, il
aura obtenu la plus haute appréciation du milieu des artistes martiaux.
Traduction: Patrick Cassam-Chenaï,
[Les notes entre crochets ont été ajoutées par le traducteur]
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